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SMLH 59. Lille, Valenciennes, Landrecies et la Légion d’honneur

Publié le 20 décembre 2023

Louis Watteau, l’épisode du barbier Maes

64 villes en France sont autorisées à faire figurer la Légion d’honneur dans leurs armoiries, dont 7 dans le Nord et, parmi elles, depuis 1900, Lille, Valenciennes et Landrecies pour des faits remontant à la Révolution française.

 

Comment a-t-on pu, en 1900, décorer des villes de la Légion d’honneur en raison de leur attitude sous la Révolution française ? Voici qui demande quelques explications.

 

Le siège de Lille : 25 septembre - 5 octobre 1792 :

  • 20 avril 1792 : se sentant menacée par les puissances européennes monarchistes, la France, dirigée alors par l’Assemblée législative, déclare la guerre au « roi de Bohême et de Hongrie » (l’empereur d’Autriche-Hongrie).

  • 10 août 1792 : la monarchie est renversée, dans un contexte où les troupes étrangères progressent en France. Elles seront arrêtées à Valmy le 20 septembre 1792 et la France va contre attaquer et se lancer dans une guerre de conquêtes en direction du Nord avec le 6 novembre 1792, la victoire de Dumouriez à Jemappes, ce qui ne fait qu’entretenir le conflit avec les puissances étrangères.

  • 21 septembre 1792 : la France change de régime, c’est l’An I de la République et l’élection d’une nouvelle assemblée dirigeante : La Convention. C’est à ce moment-là que se produit le Siège de Lille.

La ville de Lille subit, pendant une dizaine de jours, de la part des Autrichiens, un siège dur, mais assez court, puisqu’elle est délivrée rapidement de ses assaillants par le secours de l’armée française qui leur fait lever le camp. Cependant les combats ont été rudes et la garnison de la ville, commandée par le général Ruault a résisté héroïquement. Cette garnison comprenait 7500 fantassins, 1200 cavaliers et 132 artilleurs. Parmi eux, se trouvaient les fameux Canonniers issus de la Garde nationale. Vinrent les rejoindre de nombreux volontaires venus de différents coins de France, ce qui sera aussi le cas pour Valenciennes.

 

Le 29 septembre, le commandant autrichien propose à la ville de se rendre, ce que le général Ruault refuse absolument. Dès le lendemain, les bombardements à boulets rouges commencent ; ils provoquent des incendies et détruisent plus de 2000 maisons. Parmi elles, celle du capitaine des Canonniers, Charlemagne Ovigneur. Héroïque, le capitaine Ovigneur, alors qu’on vient le prévenir sur les remparts que sa maison brûle et que sa femme vient d’accoucher chez des voisins, refuse de quitter son poste, déclarant : « Rendons-leur le feu pour le feu ! ». Pour cette action devenue rapidement légendaire, Charlemagne Ovigneur reçut, en 1810, la Légion d’honneur des mains de Napoléon en personne.

 

Un autre épisode célèbre est celui du barbier Maes qui, voyant son échoppe détruite, continua à raser ses clients sur le trottoir avec un éclat d’obus comme plat à barbe !

 

L’héroïsation de la défense de Lille a commencé immédiatement après les faits, puisque, dès le 12 octobre 1792, La Convention a reconnu que « Lille avait bien mérité de la patrie ». Ainsi, dès le 27 octobre 1792, la Convention décida de débaptiser la rue de Bourbon à Paris pour la rebaptiser rue de Lille.

 

Pour commémorer cet évènement, à Lille même fut inaugurée en 1845, sur la Grand Place, une statue qui représente la ville couronnée de tours et tenant dans la main un boutefeu, l’instrument des Canonniers. Sur un côté de la colonne est gravé le décret de la Convention du 12 octobre 1792 reconnaissant que « Lille avait bien mérité de la patrie ».

Allégorie de la ville de Lille

Voilà donc ce qui concerne la ville de Lille sous la Révolution. Le cas de Valenciennes fut beaucoup plus compliqué car, cette fois, la ville fut prise par les coalisés et nous sommes alors en 1793, pendant la Terreur. Les circonstances politiques avaient donc changé depuis la fin de l’année précédente.

 

Évolution de la situation et siège de Valenciennes : 23 mai – 28 juillet 1793

  • 21 janvier 1793, l’exécution de Louis XVI va rebattre les cartes. C’est la tendance la plus dure des révolutionnaires qui l’a emporté et ceci va diviser les Français en éloignant de la Révolution les personnes les plus modérées.

  • 1er février 1793, la France déclare la guerre à la Hollande et à l’Angleterre : les Anglais vont donc rejoindre les Autrichiens et on les verra ensemble devant Valenciennes. On verra aussi les Hollandais devant Landrecies.

  • Mars 1793 : on décrète la levée en masse des hommes pour incorporer l’armée, ce qui sera une des causes de la révolte des Chouans et donc de l’ouverture d’un conflit armé au sein de la France.

  • 18 mars 1793, défaite de Dumouriez à Neerwinden. En désaccord avec La Convention et craignant, à juste titre, d’être condamné pour cette défaite, il passe à l’ennemi début avril. Le général Ruault, défenseur de Lille l’année précédente, suit son exemple.

  • 23 mai 1793, les troupes françaises doivent se replier à l’abri des fortifications de Valenciennes. La ville est cernée par 50.000 soldats autrichiens et anglais commandés par le duc d’York, frère du roi d’Angleterre, George III. La garnison valenciennoise est commandée par le général Ferrand. 43 jours de bombardements intensifs, sur plus de 87 jours de siège, ravagent des quartiers entiers de la ville qui finit par se rendre le 28 juillet 1793, l’ennemi ayant percé les fortifications et tout moyen de défense étant épuisé. Se mettra en place un gouvernement d’occupation, dénommé la « Jointe autrichienne », jusqu’à ce que la situation se rétablisse grâce aux victoires de Hondschoote en septembre 93, de Wattignies en octobre 93 et de Fleurus, en juin 94.

  • 27 août 1794, Valenciennes sera délivrée par l’armée du Nord conduite par le général Schérer.

Sur ce Siège de Valenciennes, nous possédons quatre témoignages parfois contradictoires.

 

Le premier et le plus circonstancié est celui d’un habitant de Compiègne, Pierre-Marie Desmarest, né dans cette ville en 1764. Fils d’un artisan, il bénéficia d’une excellente éducation et se prépara à une carrière ecclésiastique, mais l’irruption de la Révolution perturba ses projets ; il adhéra à la « Société des amis de la Constitution », première mouture du futur club des Jacobins de Compiègne. Ardent patriote, il s’engagea au moment de la levée en masse, en mars 1793, et fut incorporé avec le grade de sergent-chef dans le 1er bataillon de la Charente qui séjournait alors dans sa ville. C’est avec ce bataillon qu’il rejoignit l’Armée du Nord et se retrouva à Valenciennes fin avril 1793.

 

L’affaire de Valenciennes fut à l’époque vécue comme une affaire de la plus haute importance et la reddition de la ville aurait pu être un drame national. Nous étions à une période critique de la Révolution, la France étant menacée sur ses frontières extérieures en même temps qu’une guerre civile se déroulait en Vendée avec les Chouans. Donc, à ce moment-là, défendre Valenciennes, c’était défendre tout simplement la République : si Valenciennes tombait, c’était la route de Paris qui s’ouvrait aux armées étrangères et donc on serait allé vers un probable renversement de la République. Et, de fait, c’est bien ce qui aurait pu se passer si les armées coalisées ne s’étaient pas séparées ensuite pour des motifs propres à chacune, les troupes anglaises remontant sur Dunkerque tandis que les troupes autrichiennes préférèrent rester dans les provinces du Nord qui étaient terres impériales. Quant à Desmarest, laissé libre après la reddition de Valenciennes, il revint à Compiègne, puis poursuivit sa carrière sous l’Empire comme Directeur de la Sûreté de l’Etat, adjoint de Fouché, ministre de la police. Il mourut en 1832 après avoir été fait chevalier de la Légion d’honneur en 1810.

 

L’intérêt pour nous est qu’immédiatement après l’affaire, il rédigea un Précis historique du siège de Valenciennes par un soldat du bataillon de la Charente, précieux témoignage, mais d’orientation politique jacobine.

 

Dans ce témoignage, Desmarets reconnaît la dureté du Siège et ne sous-estime pas les souffrances vécues par les habitants : « Je ne crois pas – écrit-il - qu’il existe une seule maison qui n’ait été touchée par les boulets ». Mais la question reste pour Desmarest de savoir pourquoi la ville s’est rendue et n’a pas persisté dans sa résistance. Pour l’expliquer, il estime que les bourgeois de Valenciennes, représentés par leur Conseil municipal, entretinrent un esprit défaitiste, privilégiant la solution de la reddition pour préserver ce qui pouvait encore l’être de leur ville, et préserver en même temps leurs intérêts, au détriment d’un esprit républicain et patriotique qui aurait voulu qu’on combatte jusqu’au bout de ses forces :

 

« Nous vîmes – écrit-il – d’un côté l’esprit mercantile et bourgeois appuyé par l’autorité municipale, et de l’autre le génie républicain et militaire dirigé par des vues plus élevées d’intérêt national, ayant pour objet les lois et le devoir, lorsque les autres ne considéraient que leurs dangers personnels. »

 

Autrement dit, une bourgeoisie qui ne voyait que ses intérêts, et n’était au fond ni patriote ni républicaine, selon lui, aurait entraîné dans cette reddition des classes populaires souhaitant continuer le combat. C’est évidemment une explication très politique de la reddition de Valenciennes.

 

Le deuxième témoignage dont nous disposons est celui des « représentants en mission » délégués par La Convention à Valenciennes. Depuis l’affaire de la défection de Dumouriez, en effet, les généraux pouvaient être facilement suspectés de trahison en cas de défaite. Pour cette raison, La Convention prenait soin de déléguer sur les lieux des combats, des « représentants en mission » qui étaient en fait des commissaires politiques disposant de très larges pouvoirs et chargés de lui rendre compte de la loyauté des combattants. Les deux représentants de La Convention à Valenciennes furent Philippe Briez et Charles Cochon de Lapparent, tous deux régicides et montagnards, c’est-à-dire jacobins convaincus.

 

Ils rédigèrent un Rapport officiel sur le siège et le bombardement de Valenciennes. Du même bord politique que Desmarest, ils allèrent dans le même sens que lui, mais avec encore plus d’insistance. En effet, eux aussi étaient exposés à la colère de La Convention si celle-ci estimait qu’ils n’avaient pas fait tout leur devoir pour soutenir la résistance de Valenciennes. Il leur fallait donc se justifier d’avoir fait tout ce qui était en leur pouvoir pour défendre la ville et en attribuer la perte à des traîtres, en l’occurrence les élus valenciennois dont les opinions n’étaient pas les leurs et qui n’auraient donc pas été de vrais républicains. Ainsi, dans leur Rapport, ils accuseront « le citoyen Perdry », ex-maire de Valenciennes chargé de la direction des compagnies de pompiers, de n’avoir rien fait pour éteindre les incendies : « on payait les pompiers mêmes pour couper les tuyaux des pompes » écrivent-ils, ajoutant quand même qu’ils n’ont « jamais pu connaître les auteurs de ces actes de trahison » qui restent donc très hypothétiques.

 

Il faut cependant leur rendre aussi justice, ainsi qu’à Desmarest, car tous trois reconnaissent aussi qu’une grande part de la défaite vient du fait que l’Armée du Nord ne s’est pas portée au secours de Valenciennes et que, sans secours extérieur, celle-ci était de toute façon condamnée.

 

Le troisième témoignage dont nous disposons est celui du général Ferrand lui-même (1736-1805) qui, en bon soldat, disculpera cette Armée du Nord de toute faute, estimant qu’elle n’avait plus les moyens de secourir Valenciennes, comme Lille l’avait été en octobre 1792.

 

Il laissa un court récit intitulé Précis de la défense de Valenciennes en 1793 essentiellement consacré aux aspects militaires. Dans ce texte, Ferrand salue l’appui que lui ont apporté le maire et les officiers municipaux, ainsi que les représentants en mission. Il réunit donc dans le même éloge des gens qui pourtant s’opposèrent pendant le Siège, ce qui rend difficile de savoir où se trouve la vérité.  S’il y eut -écrit-il - des troubles et des oppositions à la résistance, et même des traîtres qui allumaient des incendies, il estime que ce furent des fuyards d’après la défaite de Neerwinden qu’il avait intégrés à ses propres troupes. Il précise aussi que ce sont bien les membres du Conseil municipal qui l’ont finalement supplié d’accepter la reddition, la ville étant à bout, mais il ne le leur reproche pas, à la différence de Desmarest ou des représentants en mission. On estime, en effet, qu’à ce moment-là les pertes étaient déjà de 500 soldats et 4000 civils tués et on craignait de nombreuses exactions envers la population si on laissait les troupes étrangères conquérir la ville par les armes : perdu pour perdu, mieux valait se rendre.

 

Rentré à Paris après la reddition, Ferrand fut arrêté le 17 août 1793 par La Convention comme suspect de trahison et incarcéré jusqu’au 30 août, puis assigné à résidence chez lui jusqu’à la chute de Robespierre, le 9 thermidor an II (27 juillet 1794). C’est dire qu’il frôla la guillotine, mais fut pourtant sauvé devant le tribunal révolutionnaire par le témoignage en sa faveur des Canonniers de la Garde nationale de Valenciennes qui assurèrent qu’il avait résisté autant que cela avait été possible. Il fut définitivement blanchi de tout soupçon par l’octroi de la Légion d’honneur en 1805.

 

Enfin, nous disposons encore d’un quatrième témoignage sur le siège de Valenciennes, témoignage écrit quarante ans après les événements, par Arnaud Texier de la Pommeraye, un militaire, né en 1766 et décédé en 1843, qui, en 1839, publia, à Douai, une Relation du siège et du bombardement de Valenciennes, en mai, juin et juillet 1793.

 

Jeune officier de l’armée de Ferrand, blessé le 23 mai 1793, Texier de la Pommeraye fut ensuite reversé dans le même bataillon de la Charente que Desmarest qu’il a donc sans doute connu personnellement. En tout cas, il connaissait son livre qu’il cite ou paraphrase à plusieurs reprises. Mais, à la différence de Desmarest, il estime que « jamais défense ne fut plus belle tant de la part de la garnison que des habitants eux-mêmes qui se montrèrent toujours également braves, également intrépides et courageux et parvinrent à arrêter l’armée coalisée au-delà du terme de toutes les prévisions. »

 

Il rappelle d’ailleurs les mots du duc d’York à son entrée dans la ville : « Cette place nous a fait perdre une campagne », ajoutant que la résistance de Valenciennes éprouva tellement les armées coalisées « qu’elles ne purent jamais par la suite réparer les funestes conséquences qui résultèrent de cette résistance merveilleuse ». Ainsi, malgré sa reddition, Valenciennes aurait-elle quand même, grâce à sa résistance, sauvé la patrie !

 

Quoi qu’il en soit, que devait faire La Convention vis-à-vis de Valenciennes ? Les responsables de la ville devaient-ils être châtiés comme le suggéraient Briez et Cochon de Lapparent, ou devait-on considérer que la ville avait résisté autant que cela lui avait été possible ?

 

Entre ces deux visions différentes, La Convention choisit de ne pas choisir. Ce ne fut qu’un an après la chute de Robespierre qu’un jugement fut rendu, le 19 vendémiaire an IV, soit le 11 octobre 1795, plus de deux ans après la fin du siège, dans un décret qui « déclare que la reddition de la place de Valenciennes ne peut être attribuée qu’au malheur des circonstances et qu’il n’y a pas là motif à inculpation contre la commune de Valenciennes pour raison de cet événement et que cette commune a bien mérité de la patrie ».

 

Après la chute de Robespierre et la fin de la Terreur, l’heure était à la réconciliation nationale et il parut souhaitable de mettre un terme à la discussion de savoir si Valenciennes s’était bien comportée ou non. La ville était redevenue française en août 1794, il convenait de la réintégrer pleinement dans la communauté nationale en lui délivrant un certificat de bonne conduite républicaine.

 

Le cas de Landrecies – 17- 30 avril 1794

 

Landrecies est assiégée du 17 au 30 avril 1794, par l’armée des Provinces Unies (Pays-Bas) commandée par Guillaume Frédéric, prince d’Orange-Nassau, qui s’est rallié aux Autrichiens. Il disposait de 16.000 hommes ainsi que d’une artillerie qui, elle, était autrichienne. Face à lui se trouvait une garnison commandée par le général Roulland, qui, lui aussi, recevra plus tard la Légion d’honneur. Celui-ci résista tant qu’il le put, refusant des offres de reddition. Mais le 28 avril l’artillerie entra en lice et envoya, en 4 jours, environ 14.000 boulets qui détruisent quasiment la ville qui ne put que se rendre. Le 27 ventôse An III (17 mars 1795), La Convention reconnut cet état de fait et décréta que « Landrecies avait bien mérité de la patrie ».

 

Le problème est maintenant de comprendre comment l’histoire de ces trois Sièges sous la Révolution a pu rebondir en 1900 pour aboutir à la décoration de ces trois villes.

 

Histoire de l’attribution de la Légion d’honneur à ces trois villes

 

À la fin du 19ème siècle, la République est encore fragile. Certes, en 1875, le Valenciennois Henri Wallon a fait reconnaître que « le Président de la République était élu par le Sénat et par la Chambre (des députés) », introduisant ainsi le terme « République » dans notre Constitution.

 

Mais les oppositions monarchiste et bonapartiste restent très vivaces et s’activent évidemment au moment de l’affaire Dreyfus qui débute en 1894. C’est pourquoi, en 1899, Pierre Waldeck-Rousseau, nommé Président du Conseil, forme un gouvernement dit « de défense républicaine », associant des représentants de différents courants : des modérés, des progressistes, des radicaux et même un socialiste, le premier à entrer dans un gouvernement, en la personne d’Alexandre Millerand. En pleine affaire Dreyfus, les partisans de la République doivent, comme en 1795, serrer les rangs.

 

C’est dans ce contexte que Géry Legrand, qui avait été maire de Lille de 1881 à 1896 et décoré de la Légion d’honneur en 1886, eut l’idée de demander cette décoration pour sa ville en reconnaissance de l’attachement qu’elle avait montré pour la République par sa résistance aux Autrichiens en 1792.

 

En reconnaissant ce fait historique, et en délivrant pour cela la Légion d’honneur, en 1900, à une ville aussi importante que Lille, le gouvernement Waldeck-Rousseau ne pouvait que renforcer ses appuis politiques.

 

Du coup, le sénateur de Valenciennes, Alfred Girard, fervent républicain lui aussi, s’inspira de la démarche de l’ancien maire de Lille et poussa le maire de Valenciennes, Charles Devillers, à s’engouffrer dans cette brèche.

 

Fut alors présentée au Président de la République la demande suivante :

 

Monsieur le Président,

 

Parmi les décrets de la Convention nationale déclarant que certaines communes de la République ont bien mérité de la patrie, il s'en trouve qui ont été rendus pour récompenser spécialement l'attitude patriotique et courageuse des habitants de cités qui avaient eu à repousser l'attaque de l'ennemi ou à soutenir un siège.

 

Tels sont le décret du 12 octobre 1792, concernant la ville de Lille et celui du 19 vendémiaire an IV, concernant la ville de Valenciennes (…)


Il paraît équitable de décider que le même droit sera conféré aux villes de Lille et de Valenciennes.

 

Si vous approuvez cette manière de voir, nous vous prions, monsieur le Président, de vouloir bien revêtir de votre signature les décrets ci-joints.

 

Suivent les deux décrets du 9 octobre 1900 autorisant les deux villes à faire figurer la Légion d’honneur dans leurs armoiries.

Conformément au décret de la Convention du 19 vendémiaire an IV, et pour ne pas être en reste avec Lille, Valenciennes fit élever une colonne en hommage aux Cannoniers de la Garde nationale et on la surmonta d’une statue de Victoire ailée du sculpteur valenciennois Gustave Crauk, ancien Grand Prix de Rome.

 

Le même jour, 9 octobre 1900, furent décorées la ville de Bazeilles, dans les Ardennes, pour sa résitance aux Prussiens en 1870, et la ville de Paris pour l’ensemble des marques d’attachement qu’elle avait montrées à la République.

Restait le cas de Landrecies : voyant le succès des démarches de Lille et Valenciennes, les élus de Landrecies se dépêchèrent de faire la même chose et obtinrent donc que leur ville soit proposée à la Légion d’honneur, au même titre que les villes précédentes auxquelles se réfère explicitement la proposition de décret, datée du 15 décembre 1900 :

 

Monsieur le Président,

 

Vous avez bien voulu décréter, le 9 octobre dernier, que les villes de Lille et de Valenciennes, qui remplissaient la triple condition d'avoir été assiégées, d'avoir subi un bombardement et d'avoir eu l'honneur d'un décret de la Convention déclarant qu'elles avaient bien mérité de la patrie, seraient autorisées à faire figurer dans leurs armoiries la croix de la Légion d'honneur.


La ville de Landrecies a subi celui du 17 au 30 avril 1794, pendant lequel un bombardement des plus violents et d'une durée de quatre jours la réduisit en cendres ; malgré ce désastre, qui ne laissa subsister que cinq maisons, les magistrats de la ville ne cessèrent d'offrir à la défense un concours dévoué. Aussi, pour reconnaitre cette attitude patriotique, la Convention nationale déclara-t-elle, le 27 ventôse an III, que les habitants de Landrecies avaient bien mérité de la patrie. La ville de Landrecies remplit donc les mêmes conditions que celles de Lille et de Valenciennes, et il parait équitable de lui accorder la même distinction.


Si vous approuvez cette manière de voir, nous vous prions, monsieur le Président, de vouloir bien revêtir de votre signature le décret ci-joint.

 

Aussi, le 29 décembre 1900, il fut accordé le droit à la ville de Landrecies de faire figurer la Légion d’honneur dans ses armoiries.

Comme à Valenciennes et à Lille, on y érigea, non pas une colonne, mais un petit monument plus modeste en souvenir de ce Siège de 1794.

 

En conclusion, on voit que c’est au terme d’une histoire tourmentée que ces villes se sont vu décerner cette prestigieuse décoration. Leur patriotisme fut reconnu, mais cette reconnaissance en 1900 fut une affaire plutôt politique.

 

Dans cette période de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle où la République était encore contestée, l’attribution de la Légion d’honneur à certaines villes fut une façon de souder la nation autour des valeurs républicaines face à l’adversaire monarchiste et clérical qui était loin de désarmer. Tout ceci confirme bien la vocation républicaine de cette décoration instituée, le 19 mai 1802, par le général Bonaparte, Premier Consul de la République.